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© Photos : MJX, sauf indication contraire.


Juin venait de poindre son nez à l'horizon et commençait à réchauffer l'Amérique.
Déjà la chaleur étouffait Houston que nous avions fuit, comme chaque année, à pareille époque. Dans les montagnes du Colorado, la fraîcheur de l'altitude corrige très largement les excès du climat des tropiques.
Et voilà que les puissants chevaux de notre véhicule nous amènent dans une charmante ville, tout droit sortie d'un vieux western, avec grand rue bordée de saloons, parcourues par des cow-boys et des diligences. Il y avait même une gare où on pouvait prendre un vieux train crachant charbon et vapeur pour se rendre dans la ville de chercheurs d'or voisine. Dans cette ville coule une rivière ou plutôt un torrent tumultueux tout droit sorti des glaciers et des sommets enneigés que l'on pouvait voir au loin. Là, de nombreuses boutiques proposaient pour un prix modique une descente de rivière en radeau pneumatique, de goûter à la joie du rafting.
La rivière de loin semblait relativement calme et les téméraires qui s'y aventuraient semblaient bien s'amuser.
Fort de ces premières constatations, nous nous rendîmes dans une de ces-dites échoppes pour de plus amples renseignements. Le parcours sur la rivière durait une demi-journée et était entièrement organisé. Rien ne semblait laissé au hasard. On nous demandait simplement de payer quelques dollars et de signer une décharge de responsabilité en cas d'accident, de noyade, de mort. Nous nous sommes dits : "c'est comme d'habitude aux USA, les organisateurs se protègent contre les actions en justice, mais tout est parfaitement sûr, sinon, ce serait interdit". Après avoir payé, nous nous rendîmes au bord de la rivière, à l'embarcadère.
Vue de près, la rivière était un peu plus tourmentée. Une main plongée quelques instants dans l'eau en ressortait mouillée, oui, mais glacée, frigorifiée.
Le moniteur nous expliqua que la température de l'eau en cette saison approchait les 40 °F ( 5°C ) et qu'il était préférable de ne pas y tomber. Il nous conseillait de ne pas porter de vêtements en coton qui absorbent l'eau et d'enfiler de préférence un costume de plongeur. Nous considérâmes cette recommandation comme superflue et Maman choisit celui qui lui paraissait le meilleur des moniteurs, en fait le plus jeune , le plus beau et le plus costaud.
Il sortit son livre et nous expliqua les consignes de sécurité. Il semblait ne pas les connaître parfaitement. Il nous expliqua qu'en aucun cas il ne fallait lâcher la corde qui courait le long du canot gonflable et qu'en cas de chute dans l'eau, il fallait mettre les pieds devant dans le courant et se laisser aller en évitant que la tête ne heurte les rochers.
Maman insista pour que je demande s'il arrivait souvent que quelqu'un tombe à l'eau : "Jamais, Madame, comment pouvez-vous imaginer pareille chose" fut la réponse immédiate, comme je lui avais dit et répété.
Bref, après quelques dernières hésitations, nous voilà rassurés et prêts à nous lancer dans l'aventure. On met nos affaires précieuses dans un sac hermétique, on enfile son gilet de sauvetage et nous voilà partis.
Déjà les premiers mètres, les premiers remous sont spectaculaires. On est déjà à moitié mouillé. C'est froid. Mais déjà on rit, on n'a plus peur.
On accoste le long de la rive pour souffler. On se présente. Nous sommes 7 dans le radeau : le moniteur novice aux rames, un moniteur chevronné, un inconnu en voyage d'affaire et nous quatre, Maman, Alexandre, Pierre et moi, le père !
On repart pour attaquer la partie la plus dure.
La première vague nous attend, là, sous le pont. Plus on s'approche, plus elle grandit devant nous. Le moniteur manœuvre le radeau tant qu'il peut pour le maintenir dans le courant. Il peine; pourtant, il avait l'air si costaud.
On descend dans le creux précédant la vague. D'instinct on recule à l'arrière du bateau pour éviter d'être aspergé. Bien nous en prit, l'avant du bateau, allégé par notre mouvement de recul se lève. En plus, nous prenons la vague de travers. Le bateau se retourne comme une crêpe. Je passe par dessus bord. Les autres suivent. Et nous voilà tous dans l'eau.
Je m'affole. L'eau me glace et m'empêche de respirer tant elle est froide. Je ne vois plus rien. Mes lunettes se sont volatilisées et mes yeux sont pleins d'eau. Je ne vois plus personne. Heureusement je tiens fermement la corde de survie. Je crie Maman; je crie Pierre; je ne les vois pas.
Alexandre près de moi, me crie qu'il veut tout arrêter et rentrer à pied. Le malin !!
Maman et Pierre sont sous le bateau et finissent par réapparaître.
Maman lâche la corde et essaie de nager jusqu'à la rive, poursuivie par le moniteur qui lui crie en anglais "breath ! breath!"( respirez ! respirez !). Effectivement, l'eau est tellement froide que tous les muscles sont comme tétanisés et il faut faire un effort surhumain pour surnager et pour respirer. Maman répond avec flegme : "I do not understand ! I don't speak english !" ( je ne comprends pas, je ne parle pas anglais ). Elle respirait donc; c'était l'essentiel.
Le bateau continuait à dériver à une vitesse folle. Accrochés à lui, nous essayions de nager, ou tout au moins de mettre les pieds devant et de garder la tête hors de l'eau, d'éviter les rochers tant bien que mal.
Enfin nous sortîmes de la zone torrentielle. La rivière se calme. Toujours complètement dans l'eau, on sent un lit de gravier. On se dégage du bateau. On se lève. On sort de l'eau. C'est à ce moment que le froid se fait encore plus intense. Par l'effet de l'évaporation sous le soleil, nos vêtements mouillés prennent ce que les spécialistes appellent la température du bulbe humide, beaucoup plus basse dans cet air sec. Nous avons encore plus froid. On se débarrasse de ses vêtements mouillés et cela va un peu mieux. Pas moyen toutefois d'arrêter de grelotter tant on a froid.
Maman atteint la rive qu'elle gravit à toute vitesse, comme pour s'éloigner le plus loin possible du torrent monstrueux, courroucé.
Nous, nous sommes sur l'autre rive. Il va falloir reprendre le bateau et retraverser. Alexandre refuse de remonter dans ce qui a failli lui servir de tombeau et préfère rejoindre le pont sur la rivière, quitte à faire des kilomètres superflus, lui qui n'aimait pas marcher.
Finalement, il accepte et nous nous retrouvons tous, transis, dans la salle du syndicat d'initiative, devant un bon café chaud, en train d'essayer de sécher nos vêtements, nos billets de banque et nos papiers, car le sac, soit-disant étanche, s'était rempli d'eau pendant la noyade.
Notre expérience du rafting n'a pas duré plus de 15 minutes.
Le lendemain, contusionnés de la tête aux pieds, nous quittions Durango et sa rivière Animas, pleins de souvenirs et, comme le corbeau de La Fontaine, jurant mais un peu tard qu'on ne nous y reprendrait plus...

Marc JAUNIAUX


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